Dans l'article précédent, je vous ai parlé de ma pratique de gravure depuis plusieurs années. J'ai débuté cette pratique artistique en n'imaginant pas pouvoir atteindre l'endroit où je suis aujourd'hui.
J'ai l'impression d'avoir atteint un endroit qui me paraissait inaccessible, pouvoir graver un paysage en plusieurs couleurs. Les fleurs, les oiseaux sont des modèles qui suivent une certaine logique, la symétrie des inflorescences, les couleurs et formes des oiseaux, même dans les bouquets de fleurs, il y a une certaine simplicité qui me permettait de reproduire cela en couleurs. J'aime beaucoup travailler ces sujets.
La nature, avec les arbres, les champs, la lumière qui se dépose, est beaucoup plus complexe à aborder dans une composition. Il faut tenir compte d'où arrive la lumière pour dessiner les ombres, trouver une harmonie de composition et surtout je n'ai pas envie de décliner des verts à ne plus savoir où aller.
Cela fait plusieurs années que je fais des photos de paysages en les rangeant pour "le jour où" j'aurais le courage de m'atteler à ce travail. J'ai donc des dizaines d'images inspirantes parce que je ne veux pas travailler avec des images trouvées, un peu puriste, je veux aussi définir moi-même le cadre de ce petit morceau de paysage.
Je ne suis pas une personne "de la mer" même si j'adore l'océan, je respire sous les arbres, dans la forêt, au milieu des jardins. C'est un univers qui me remplit de joie. C'est cela que je veux utiliser. Encore une raison qui m'a fait attendre, patienter, le temps de me sentir prête.
Comment savoir ? Par quel bout prendre cela ? J'avais quelques jours de congés, la maison était vide de "jeunes" le silence et les heures qui peuvent s'allonger sans contraintes m'ont donné la liberté de débuter.
Commencer par choisir le lieu, puis griffonner la composition, j'ai utilisé Photoshop pour me donner des envies de couleurs, changer les verts en bleus, pousser le contraste ! L'idée avance et se dessine. Les couleurs arrivent dans ma tête, les choix sont faits.
J'ai recommencé plusieurs fois le dessin avec les formes, les traits à utiliser, les choix de zones claires, chaudes, froides. Oser enlever des buissons, rajouter d'autres, s'approprier la composition, lui donner une vie graphique ! Se faire confiance, le plus difficile, quand je pose des touches de bleus à la base de l'arbre, je ne sais pas si c'est bien ou pas, je fais un pari.
Un artiste a dit un jour "si j'ai besoin d'un bleu, je l'ajoute même s'il n'est pas devant mes yeux". On est libre de faire ce qu'on veut, la feuille est à nous.
Trois jours plus tard, j'ai pris une gouge et j'ai coupé dans le lino. Préparé la première couleur, j'étais lancée. Et feuille après feuille, couleur après couleur, l'image est arrivée.
Quand j'ai passé la dernière couleur, une joie profonde est venue. Ma sœur m'a dit qu'en sanscrit (un terme de yoga ?) on parle de "ANANDA" une étape de joie intérieure profonde du chemin qui mène à la rencontre de soi. C'est ce que je ressens. Bon ça fait peut-être un peu prétentieux, je dis surtout que je suis fière de moi d'avoir été jusqu'au bout. J'avais un sourire qui ne quittait pas mon visage. Apporter de la joie, surtout en ce moment dans cette période compliquée qui n'en finit pas, c'est essentiel non ?
Evidemment j'ai de l'appréhension parce que maintenant il va bien falloir continuer, et en refaire d'autres ! Il aura fallu ce déclic, je crois que je suis lancée... YOUPI !
J'ai utilisé 2 plaques de lino, en effet, les encres à l'eau ne sont pas aussi couvrantes que les encres à l'huile qui permettent de passer des couleurs foncées après des couleurs claires. Ce qui permet de n'utiliser qu'une matrice.
Les encres à l'eau doivent passer de la plus claire à la plus foncée, et comme j'utilise des palettes de couleurs différentes un rose clair, un bleu clair, puis un rose foncé et un bleu foncé, ça ne rend pas aussi bien, surtout si les couches d'encres passent au même endroit les unes après les autres. L'utilisation d'encres à l'huile me donnerait une plus grande liberté de passer les couleurs. J'ai fait le choix d'avoir une encre me permettant de nettoyer mes outils à l'eau, je dois donc prendre en compte cette contrainte de plus.
Je dois utiliser 2 matrices pour que le rose qui se dépose après un bleu arrive sur une zone vierge de couleur. C'est une sacré gymnastique pour définir les zones à graver ou non sur le lino. Je passe beaucoup de temps à organiser cela, et une fois que c'est défini, je me laisse aller à dérouler le processus.
Il ne faut pas se rater sur la 2è matrice, car j'a fait des coups de gouge un peu naturels, je n'ai pas suivi exactement les formes dessinées, j'ai du reprendre à partir du dessin pour qu'à la superposition, cela soit bien superposé.
Cela demande beaucoup plus de temps de travail qu'une composition graphique.
J'ai pris ce temps, lentement, avec patience, faisant confiance dans ce que je faisais.
La gravure est une pratique de "bricolage", c'est peut-être aussi pour cela que j'aime tellement ça, on utilise des outils qu'il faut entretenir, graver du lino pour celleux qui pratiquent, ça donne chaud !
Il faut aussi se lancer un peu dans le vide, j'ai passé 35 feuilles, cela signifie pour 7 couleurs 245 fois passer sous la presse, une feuille, encrer la matrice avec l'encre, sans savoir si le dernier passage révèlera une réussite ou pas. Il y a des ratés, je me donne 5 pages de tests de calage de feuille à chaque couleur. C'est la moyenne.
Et puis … petite info, j'ai déjà choisi le prochain paysage ! Ce sera un vallon de Corrèze, plein d'arbres, des collines bref après tout, il faut oser !
"Oser et faire du bruit, tout est couleur mouvement explosion lumière … La poésie est un jeu" disait Blaise Cendrars, la gravure aussi !!
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